Enquête pomologique sur une variété locale de la région

de Sierentz : la cerise Waldner ou Waldnerkirscha (1/4)

La Waldnerkirscha : l'étymologie de ce nom pourrait laisser croire que cette variété de cerise fut trouvée dans une forêt, mais c'est une fausse piste… Nous sommes à l'aube de la Révolution française à Sierentz, aux portes du Sundgau. La partie alsacienne de l'Autriche antérieure des Habsbourg - aujourd'hui cette magnifique région aux collines verdoyantes où se blottissent de nombreux villages aux maisons à colombages - se relève à peine du passage des Suédois. En effet, après la guerre de trente ans qui laisse un Sundgau exsangue, le début du 18ième siècle marque un timide développement de l’agriculture et de l’industrie. Mais une fiscalité trop lourde constitue un obstacle à leur essor et les habitants du Sundgau ne mangent pas toujours à leur faim, les périodes de disette ne sont pas rares. A cette époque, le royaume de France est administré par les intendants qui représentent le roi dans les provinces, mais les terres appartiennent aux seigneurs. Au niveau local, l'administration est gérée par les baillis qui réfèrent des affaires de leur baillage à l'intendant. C'est ainsi que la seigneurie de Sierentz, ainsi que d'autres bourgs d'Alsace, appartiennent à la grande et illustre famille des Waldner de Freundstein et que François de Hell est le bailli de plusieurs terres sundgauviennes, dont celles du baillage du Haut-Landser où il gère, entre autre, les affaires du seigneur Waldner. Bien connu des historiens pour ses activités politiques, le bailli Hell consacra aussi une grande partie de sa vie à des études dans des domaines aussi variés que l'élevage et la médecine vétérinaire, la mécanique agricole ou la botanique. Dans cette dernière spécialité, il entretenait une abondante correspondance avec les plus grands spécialistes de son époque, il expérimentait dans ses pépinières et ses plantations de nombreux végétaux nouveaux et il rendait compte de ses résultats expérimentaux à l'intendant d'Alsace dans le but de développer l'économie des régions dont il assurait le baillage. Bref, on serait tenté de le qualifier d'être exceptionnel si son antisémitisme acharné (qui n'était pas rare à l'époque) ne venait pas ternir les côtés positifs de cette personnalité hors du commun. Aussi, avant d'en venir au sujet qui nous intéresse, la Waldnerkirscha, attachons-nous à découvrir cet érudit plein de talents, en particulier par son aspect le plus méconnu, son action dans le domaine de la botanique.

François Joseph Antoine de HELL naît à Hirsingue en 1731. Après de sérieuses études scientifiques, possédant des notions de grec, d'arabe et d'hébreu, il devient en 1754 chancelier et grand bailli du comté de Montjoie-Hirsingue puis est reçu avocat au Conseil souverain d'Alsace en 1758. Il déploie, en sa qualité de grand bailli des départements d'Hirsingue et du Haut-Landser, un grand zèle et se fait aimer pour sa bonté et sa justice. En 1775, il devient député à la cour de Louis XVI et c'est à partir de 1777 qu'il s'établit à Landser, en tant que bailli de la seigneurie et du haut-bailliage de Landser. En 1787, il est élu syndic du tiers-état à l'assemblée provinciale, puis, en 1789, député aux Etats-Généraux pour les bailliages réunis de Haguenau et de Wissembourg. Il siégera comme député de l'assemblée nationale constituante de juillet 1789 à septembre 1791 et entrera après sa dissolution dans l'administration départementale du Haut-Rhin. Après avoir été dénoncé comme entretenant des relations avec l'étranger (la noblesse exilée), il est traîné devant le tribunal révolutionnaire de Paris et condamné à l'échafaud, où il est exécuté le 22 avril 1794. La compétence de Hell était reconnue bien au-delà de notre province, puisqu'il était également membre honoraire de la société économique de Berne et correspondant de la société d'agronomie et d'industrie de Paris.

La consultation de ses nombreux écrits, confisqués après la Révolution et conservés aux archives départementales du Haut-Rhin, dévoile un botaniste aux qualités exceptionnelles, en particulier pour les arboriculteurs que nous sommes car il était passionné d'arbres fruitiers. On y découvre qu'il entretenait avec Malesherbes, le célèbre homme d'état et grand agronome, des relations très amicales et une correspondance abondante (Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes dit "Malesherbes" fut le parrain de son fils aîné et Mme de Senozan, la sœur de Malesherbes, sa marraine). C'est d'ailleurs son intimité avec Malesherbes, courageux défenseur de Louis XVl, qui lui valut sa dénonciation et les deux hommes montèrent sur l'échafaud en même temps [1]. Les ardeurs révolutionnaires mirent ainsi fin à la vie de deux grands passionnés de botanique du 18ième siècle... On trouve donc dans les notes de Hell de nombreuses listes de plantes, d'arbres, d'arbustes et d'arbres fruitiers qu'ils se sont échangés en vue d'enrichir leurs pépinières et plantations respectives; le château de Malesherbes était (et est toujours) très connu pour ses collections et ses plantations d'arbres rares. Malesherbes y expérimenta l'adaptation du prunus Mahaleb ou Sainte-Lucie aux différents sols de sa propriété et l'arboriculture lui doit la diffusion de ce fameux porte-greffe du cerisier, devenu SL64 après une sélection de l'INRA. Lorsqu'on sait que Malesherbes lui-même échangeait des plantes et prenait des conseils auprès de son voisin de campagne, le grand agronome et pomologue Duhamel du Monceau (leurs châteaux dans le Loiret étaient voisins), on imagine aisément le nombre de variétés auxquelles Hell avait accès à travers un réseau de connaissances composé d'hommes aussi illustres. Rappelons ici, qu'outre une vie politique bien remplie (il était inspecteur général de la Marine), Duhamel du Monceau écrivit en 1768, son fameux "Traité des arbres fruitiers", certainement le plus bel ouvrage pomologique du 18ième siècle [2]. Plus de 180 variétés de fruits y sont illustrées, imprimées en couleur par gravure sur cuivre avec une description des caractéristiques spécifiques de chacune d'entre elles. Mais c'est son "Traité des arbres et des forêts", un best-seller de l'époque, qui fit dire à Condorcet qu'il était "un des hommes les plus instruits d'Europe". A une époque où il n'est pas évident de se déplacer, Duhamel n'hésite pas à faire de longs voyages, en parcourant incognito la France, la Hollande et la Suisse pour observer sur le terrain les variétés qu'il décrit. Cet homme que tout passionne dira : "Partout où votre regard peut se porter, il n'y a rien qui ne mérite pas votre attention".

C'est donc en plein Siècle des Lumières, alors que les controverses entre mercantilistes et physiocrates agitent les débats mondains, que Hell, affligé par le délaissement des terres et des prairies du Sundgau mais aussi par l'état de pauvreté de sa population, acquiert la conviction que seule l'augmentation des rendements et de la qualité de la production agricole pourraient améliorer le quotidien de ses compatriotes, penchant ainsi clairement du côté des physiocrates. A l'aube de la révolution agricole, il s'attache alors durant une grande partie de son existence, à faire des essais d'acclimatation et des sélections dans de nombreuses spécialités de l'agriculture comme les cultures céréalières, les cultures d'essences forestières ou d'arbres fruitiers. C'est ainsi qu'aux alentours de 1770, il introduit l'usage de l'esparcette et de la luzerne pour en faire des foins, il expérimente l'arrosage des prés (il invente au passage un nouveau type de vanne et un nouveau concept de pompe) et qu'il généralise l'utilisation des engrais organiques sur les prairies. Il consacre aussi de nombreux essais à l'amélioration de la conservation des grains, mais sans beaucoup de succès car il part sur de fausses pistes…

Hell commence également des essais systématiques de sélection des variétés de pommes de terre sur différents critères comme l'adaptation aux terres du Sundgau, l'aptitude à la conservation ou aux possibilités de multiplication. Il entretient à ce sujet une correspondance avec le célèbre Parmentier, qui introduisit la culture de la pomme de terre en France vers 1720 et inventa la recette qui porte son nom!

Mais c'est dans ses essais systématiques d'acclimatation d'arbres et d'arbustes qu'il obtient ses plus grands succès. En activant son réseau de connaissances, il fait venir des quatre coins de France (Orléans, Strasbourg, Potager du roi à Paris …) et des pays limitrophes de nombreux plants dont une grande partie ne supporteront pas les rigueurs de nos hivers. Il recense ainsi les arbres et les arbustes capables de supporter les froids le plus rigoureux et en dresse la liste. Commence alors un travail titanesque de multiplication des variétés, comme le mûrier blanc et le peuplier d'Italie, pour "répandre dans la province ceux qui sont utiles", autrement dit pour développer de nouvelles branches de l'économie rurale. Dans une lettre datée du 17 septembre 1771, Hell demande à l'intendant d'Alsace le financement d'un poste de jardinier pour s'occuper de la multiplication en série des arbres fruitiers et forestiers qu'il possède en collection à Hirsingue. Dans cette même lettre, il s'inquiète du mauvais entretien, voire de l'abandon quasi-complète des arbres fruitiers à travers le Sundgau, intervenus depuis l'introduction de la culture de la pomme de terre qui remplaça avantageusement l'utilisation des fruits séchés en hiver. Serait-ce après cette demande infructueuse auprès de l'administration provinciale, que Hell trouva une oreille attentive auprès du seigneur Waldner pour la création d'une pépinière à Sierentz ? Il est en tout cas sûr que les Waldner étaient très sensibles aux idées progressistes de leur bailli et bien conscients de l'apport pécuniaire qu'une telle entreprise pouvait leur apporter… Toujours est-il qu'une pépinière vit le jour sur les terres des Waldner à Sierentz, puisque les archives révèlent la liste des variétés qu'on y vendait alors dans "la pépinière seigneuriale de Sierentz". La cerise Waldner est sans doute le résultat d'une sélection que Hell fit dans cette pépinière. Vu sa grande ressemblance avec le fruit du merisier, c'est sa maturité très tardive qui aura été un des critères déterminants de sa sélection. En effet, dans le Sundgau la "période de soudure", qui précède la récolte de l'année en cours et où les réserves de nourriture sont généralement au plus bas, pouvait parfois durer jusqu'en été. La moisson ne se faisant habituellement que trois à quatre semaines après les dernières récoltes de cerises, l'apport de nourriture constituée par une variété plus tardive pouvait donc être importante et constituer un complément nutritionnel opportun. Ce n'est pas pour rien que l'on donna le nom de "Battelmann" ou de "Mendiant" à ce clafoutis fait de pain rassis et de cerises, plat typique des périodes de disette ou de soudure. On voit ainsi, replacé dans le contexte de l'époque, que chaque variété de fruit avait son utilité et était adaptée à une utilisation particulière, savoir que seuls les ruraux connaissent et qui malheureusement s'efface avec la disparition de nos aînés, derniers témoins de ces époques où la notion même de gaspillage, phénomène indécent et inhérent à notre société de consommation, était inconnue. La sélection consistait alors déjà à augmenter les périodes de disponibilité des différents fruits et on peut supposer que c'est Hell lui-même qui, en humble et dévoué serviteur des Waldner décida de baptiser sa sélection, probablement un semis de hasard, du nom de "Waldnerkirscha".

Le lecteur conviendra que cette enquête ne saurait être considérée comme aboutie sans avoir retrouvé un cerisier de cette variété. Une petite prospection à Uffheim et dans les villages environnants permet de se rendre compte que la cerise Waldner est encore bien présente dans les souvenirs des anciens. Cette cerise sélectionnée juste avant la Révolution française a donc traversé plus de deux siècles à un tel point que les souvenirs de récoltes sont encore relativement "frais" dans la mémoire des gens interrogés. Tous savent que la "Waldner" était petite, ferme et très tardive. Mais lorsqu'il s'agit de révéler l'emplacement d'un arbre de cette variété, les mines se font plus graves: le remembrement est passé par là et les arbres en question n'existent plus. Serait-il trop tard? Après quelques désillusions, une discussion avec une agricultrice en retraite de Magstatt-le-Haut (située à environ 5 km de Sierentz) me met sur la bonne voie. Cette dame dit avoir vendu cette variété de cerise presque toute sa vie au marché de Mulhouse et elle possède encore trois arbres de cette variété. C'est ainsi que l'hiver 2006-2007 permit la récolte de quelques greffons et que deux exemplaires de cette variété très locale, mais ô combien intéressante, sont maintenant bichonnés dans un verger de Uffheim. La récolte 2007 a donc été l'occasion d'observer cette cerise de plus près.

[1] : L'écrivain Chateaubriand, proche parent de Malesherbes, retranscrit fidèlement en 1L10 Chapitre 8 de ses "Mémoires d'Outre–Tombe" l'ordre d'exécution émis par le tribunal révolutionnaire où il est ordonné la mise à mort de Malesherbes et de sa famille, ainsi que de Hell. C'est en revenant de son exil anglais que Chateaubriand mettra la main sur ce document en fouillant les affaires de la famille. "Mémoires d'Outre-Tombe" est disponible sur Internet à l'adresse suivante : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1013503 . Cliquez à gauche sur "1L10Chapitre8" pour accéder au paragraphe concernant Hell.

[2] : Cet ouvrage digitalisé est disponible à l'adresse http://www.mobot.org/mobot/osgl/ .

à suivre…

F. Christnacher

Enquête pomologique sur une variété locale de la région

de Sierentz : la cerise Waldner ou Waldnerkirscha (2/4)

La cerise Waldner dont le seul synonyme qui soit connu est sa traduction en dialecte (Waldnerkirsha) est relativement petite, ferme et très tardive. L'observation des fruits durant l'année 2007 a permis de constater que la Waldner n'est autre qu'une merise. Sa chair est ferme, légèrement acidulée et sa maturité très tardive. En 2007, elle est arrivée à maturité en même temps que Régina, l'une des variétés récentes les plus tardives. A l'époque de Hell, et même encore aujourd'hui dans nos campagnes, cette variété est toujours l'une des plus tardives. Les habitants de Magstatt-le-Haut où elle était beaucoup produite, l'écoulaient jusque dans les années 70 sur le marché de Mulhouse. La fermeté de la chair permet une bonne résistance aux manipulations et au transport. Les clients l'appréciaient pour sa transformation en pâtisserie, tartes et clafoutis. La Waldner est également remarquable pour l'élaboration de la fameuse Kirschwasser, une eau-de-vie de cerise très fruitée. Les villages des environs de Sierentz, comme Magstatt-le-Haut et Magstatt-le-Bas étaient d'ailleurs connus dans tout le canton pour l'excellence de leur eau-de-vie de cerise.

Caractères du fruit :

Origine, synonyme : voir article F&A du mois précédent.

Maturité : Très tardive, 7ième semaine des cerises.

Forme : petite, sphérique, un peu plus large que haute. Largeur 17mm, hauteur 16mm. 375 cerises/kg ou 2,7 grammes/cerise.

Epiderme : Uniformément rouge foncé à maturité, brillant, assez épais et solide.

Sillon non marqué, point pistillaire bien visible.

Qualité : très moyenne, peu d'eau, légèrement acidulée.

Chair : ferme. Jus de couleur rouge.

Pédicelle : moyen à long, épaisseur moyenne. Le fruit ne pleure pas quand on enlève le pédicelle, ce qui permet d'exposer des fruits propres à la vente. Fruits fortement attachés, seuls, par deux, trois, ou parfois quatre sur le même pédicelle.

Noyaux : 8mm de large, 9mm de long. Ovoïde, légèrement pointu. Sillon visible, mais peu marqué.

Pas d'éclatement, pas de moniliose, pas de dégâts d'oiseaux, pas de vers l'année de l'observation.

Différence de maturité des cerises très marquée entre le côté sud et le côté nord de l'arbre.

Côté nord Côté sud à la même date

Caractères de l'arbre :

Port semi-érigé, forte vigueur. Feuillage dentelé, présence de deux petits nectaires sur le pétiole.

Rameaux fruitiers très nombreux, longs et retombants, ce qui confère à l'arbre un aspect très touffu et très ramifié.

Floraison : tardive et abondante. Variété très fertile, récolte abondante.

Bouquets de mai bien répartis le long de la branche fruitière, très longs sur les vieux arbres par l'ajout d'une ride chaque année. Arbre un peu sensible au chancre.

Pour ceux qui utilise Google Earth, voici les coordonnées d'un cerisier Waldner à Magstatt-le-Haut. En 47°38'11.00''N, 7°23'13.30''E se trouve un magnifique exemplaire de cette variété. Prétendre qu'il s'agit là d'un clone de la variété originale de Hell transmis de génération en génération par la greffe serait peut être exagéré, car les agriculteurs de ce village replantaient souvent des arbres issus d'un drageon de l'arbre original ou d'un semis de noyau. Les caractères de la variété semblent toutefois être stables et les nouveaux individus ont les mêmes caractères que ceux de l'arbre d'origine. Raison de plus pour considérer qu'on est là simplement en présence d'un type particulier de merisier, car lorsque les caractères restent stables par semis, c'est qu'on est très proche d'une variété "sauvage". Bien entendu, l'observation devra se poursuivre encore quelques années pour confirmer ou infirmer les caractéristiques décrites plus haut.

à suivre…

F. Christnacher

Stade A

Stade J

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de Sierentz : la cerise Waldner ou Waldnerkirscha (3/4)

Comme cela a été évoqué dans les précédents articles, la pépinière seigneuriale de Sierentz disposait d'un vaste choix d'essences forestières et fruitières, complété par de nombreux arbustes fruitiers ou d'ornement. Ces derniers avait certainement leur utilité à l'époque, ne serait-ce que pour les baies qu'ils produisaient. Les écrits de Hell recèlent la liste des variétés fruitières que la pépinière seigneuriale de Sierentz proposait alors à la vente, sans doute aux alentours de 1775. Précieux et rare témoin du passé pomologique de notre région, cette liste de quatre pages, qui faisait office de catalogue, mérite à elle seule une analyse détaillée.

A

l'explosion du nombre de variétés que connaîtront les 19ième et le début du 20ième siècles. A titre d'exemple, on dénombre dans le célèbre Dictionnaire de Pomologie d'André Leroy (paru entre 1867 et 1879, soit au maximum 90 ans après la Révolution), déjà trois à quatre fois plus de variétés qu'il n'en existait avant la Révolution. La mise en vente d'un si grand nombre de variétés à Sierentz n'en est que plus impressionnant et l'assortiment variétal alors proposé est digne des plus grandes pépinières de l'époque. Il atteste des nombreuses relations que Hell entretenait en France, Outre-Rhin et en Suisse.

L

jardinier-pépiniériste du nom de Charles Guerin : "Le Public est averti, qu'il trouvera dans la Pépiniere Seigneuriale à Sierenz, en Haute-Alsace, sous la direction de Charles Guerin, les Arbres, dénomes dans ce Catalogue, d'étaillé par espece & qualité, avec les époques de la maturité des Fruits". Charles Guerin deviendra instituteur de Bartenheim en 1794, l'année de la mort de Hell. Les arbres en "haut vend" (haute-tige) étaient proposés au prix de 15 Sols, les "demi vend" (demi-tige) étaient vendus à 12 Sols et les "Espaliers" à 10 Sols l'unité.

O

acides (griottes). La Cerise blanche dont il est fait mention est peut être la rare et très ancienne Weisse Herzkirsche dont il subsiste encore un magnifique exemplaire plus que centenaire sur le ban du village de Uffheim non loin de l'endroit où se situait la pépinière seigneuriale de l'époque. La Cerise Ecarlatte est l'Anglaise hâtive aussi appelée May Duke. Ce croisement de cerise douce (prunus avium) et de cerise acide (prunus cerasus) donne une excellente cerise aigre-douce qui à cette époque n'était encore que très peu diffusée en France. Pour les pruniers, la plupart des hybridations aujourd'hui connues n'existent pas encore. On a donc une forte dominance de variétés relativement sauvages ou de type myrobolans, comme les Damas, Diaprée ou Perdrigon. La diversité variétale se limitait donc encore aux variétés que les croisés avaient ramenés de leurs voyages en terre sainte et aux semis de hasard obtenus à partir de ce modeste choix. Il existe autour de Sierentz, et plus particulièrement à Uffheim, une excellente variété de quetsche jaune (qui n'est pas la blanche de Létricourt) et qui est connue des anciens du village comme étant une variété très ancienne. Ce pourrait être, mais ceci n'est qu'une supposition, le Damas blanc ou la Catalogue blanche cités dans cette liste. Notons aussi que la Prune de Monsieur fut baptisée ainsi en l'honneur du frère de Louis XIV, le duc d'Orléans, qui en mangeait tellement qu'il en avait régulièrement des indigestions. La "Coiche" n'est autre que le mot "quetsche" en vieux français, sans aucun doute notre bonne vieille quetsche d'Alsace dont l'un des synonymes est "Altesse" comme mentionné dans la liste…

C

dernières nouveautés en matière de variétés. Notons en particulier que l'Abricot alberge ne fut décrit pour la première fois qu'en 1755 et que Duhamel du Montceau, dont Hell lisait certainement les ouvrages, le décrit en 1768 dans son fameau "Traité des arbres frutiers". On peut donc affirmer que Hell cherchait aussi à multiplier et à proposer à la vente les variétés les plus récentes de l'époque. Quand on sait que la poire Angélys qui fait une timide apparition sur le marché depuis 2005 a été mise au point à l'INRA d'Angers en 1963, on mesure à quel point Hell était désireux de proposer rapidement les nouveautés de l'époque à sa clientèle. Le gros Abricot Royale est à ce titre aussi un bon exemple. Il doit s'agir là de l'abricot Pêche de Nancy dont "Royal" est l'un des synonymes et dont la grande taille aura justifié le qualificatif gros. Sa première description ne date que de 1755, mais sa diffusion n'interviendra que bien plus tard, sans doute après sa description dans le livre de Duhamel en 1768. Originaire de Nancy, il constituait donc aussi une nouveauté pour l'époque.

P

l'époque et plantées au potager du roi par de la Quintinie ou produites à Montreuil à la même époque. La petite avant Pêche blanche et la petite Pêche de Troyes ne sont que deux synonymes de la même variété, tout comme la petite Mignonne et la double de Troyes ainsi que la Violette hâtive qui est aussi la grosse Galande. Mais soyons indulgent envers Hell et reconnaissons que vu le nombre de contacts qu'il entretenait, il lui fut presque impossible de ne pas se procurer la même variété sous deux noms différents. Nous verrons que d'autres erreurs de ce genre ont aussi été commises avec plusieurs variétés de poires attestant qu'à l'époque déjà, la science pomologique souffrait de cette plaie, dont Leroy lui-même se plaindra souvent un siècle plus tard : la multiplication des synonymes d'une même variété. Mais revenons à l'analyse de notre liste : la grosse Mignonne peut-être considérée comme l'une des meilleures pêches de l'époque et elle possède alors, vu son ancienneté (1667) et sa grande diffusion, pas loin de soixante synonymes tels que Veloutée ou Transparente Ronde. La Chancelliere fut obtenue par semis d'un noyau de la Chevreuse également citée dans la liste. Notons enfin qu'était dénommés Magdelaine ou Madeleine tous les fruits très juteux et qui fondent en eau telle la Madeleine, dépeinte fondant en larmes lors de la crucifixion…

ristnacher

~1775 : Liste des variétés de la pépinière seigneuriale de Sierentz – Page 1/4

(Archives départementales du Haut-Rhin)

~1775 : Liste des variétés de la pépinière seigneuriale de Sierentz – Page 2/4

(Archives départementales du Haut-Rhin)

Enquête pomologique sur une variété locale de la région

de Sierentz : la cerise Waldner ou Waldnerkirscha (4/4)

Pour les poires, notez que le "petit Muscat" est la variété Sept-en-bouche ou Sept-en-gueule, aujourd'hui seulement présente dans certains vergers de collection. Déjà connue à l'époque romaine, Pline semble l'avoir décrite vers l'an 80, elle était depuis le 15ième siècle très répandue en Suisse, en Franche-Comté et en Alsace. Jean Bauhin, médecin-naturaliste attaché à la cour des princes de Montbéliard, la décrivit en 1590. En suisse, elle fut sauvée de la disparition par l'association Fructus dans les années 80. La poire verte longue Panachée n'est autre que la Schweizerhose que je vous ai déjà décrite dans Arboweb, F&A de février 2006 consacré à l'association Fructus. La Colmar d'hiver ou Poire de Colmar était très répandue dans notre région alors que les Royale d'été et Robine sont sans doute la même poire, tout comme Bezi de Chaumontel et Beurré d' Hiver.

Concernant les pommes, on notera tout d'abord qu'elles sont bien moins nombreuses que les poires. Avec seulement 28 variétés de pommes pour 62 de poires, on remarque que la pomme subissait toujours le contre-coup de l'active propagande réalisée depuis des siècles en faveur de la poire : considérée comme un fruit noble, la poire eut toujours la préférence des jardiniers et des pépiniéristes par rapport à la pomme, considérée comme un fruit indigne. De la Quintinie lui-même, jardinier de Louis XIV et créateur du magnifique potager du roi à Versailles, ne tenait pas la pomme en grande estime. Son célèbre livre "Instruction pour les jardins fruitiers et potagers avec un traité des Orangers" publié en 1690 continuait à influencer le monde horticole et il n'y faisait que peu de cas des pommes. C'est ainsi que de Louis XIII jusqu'à la Révolution, l'horticulture française s'enrichit à peine d'une variété de pommes tous les huit ans! La présence de 28 variétés de pommes dans la pépinière de Sierentz n'en est donc que plus notable, même si, pour la plupart d'entre elles, leur origine était déjà relativement ancienne à l'époque. Elles restent cependant encore toutes relativement connues et répandues aujourd'hui. Notons que Rambourg blanc est la rambour d'été et que la Calville blanche a cotes est l'excellente Calville blanc d'hiver. La "grosse Bonne" est peut-être le "Gros Bohn" apparu en Allemagne sur les bord du Rhin durant la seconde moitié du 18ième siècle, mais qui ne se répandra en France que bien plus tard alors que Petit Bon est une très ancienne variété française à l'époque très répandue en Moselle. La Pepin d'Or est la pomme d'Or d'Angleterre (Golden Pippin) alors que la pomme de St Louis pourrait tout simplement provenir de la ville de Saint-Louis, voisine de Sierentz (je fais ici cette supposition car Leroy ne cite aucune pomme St Louis dans son dictionnaire, ce qui privilégierait une origine locale).

La dernière page du catalogue est consacrée aux mûriers blancs (leur culture servait à l'élevage du ver à soie) et aux mûriers noirs. Il subsiste encore à Sierentz dans un parc privé un très bel exemplaire plus que centenaire de mûrier noir. Bien que méconnus, ces arbres produisent d'excellentes mûres noires très sucrées que l'on mange à l'arbre ou que l'on transforme en de très bonnes tartes ou confitures. La maturité des fruits est très étalée et l'on trouve relativement longtemps sur le même arbre des fleurs, des fruits encore verts et des fruits mûrs.

Vous remarquerez aussi que l'on trouve dans la dernière page du catalogue la parfaite description du "Noyer de la Saint-Jean" dont je vous ai parlé dans Arboweb, F&A de juillet-août 2006. Voici comment il est décrit : "Noyers fluté ou greffé en flute, de très-belle tige de sept à huit pieds de la plus grande espéce, 20 Sols. Ces noyers ont l'avantage d'être tres-tardif au printem, & de ne pousser ses feuilles que vers la St. Jean, & presqu'en même tems que sa fleure, & son fruit vient en maturité, en même tems que celui de noyers communs, ce qui le garantit des injures de l'intemperie fréquente du printems dans ces païs-cy", autrement dit sa tardivité le protège des gelées printanières... Ce document prouve donc que le Noyer de la Saint-Jean fut répandu dans le Sundgau bien avant la Révolution française.

D'un point de vue général, notons que parmi les 123 variétés proposées dans ce catalogue, plus de la moitié avaient déjà été conseillées par de la Quintinie dans son "Instruction pour les jardins fruitiers…" et étaient présentes au potager du roi à Versailles (voir Arboweb, F&A de février et de mars 2005). Une grande partie des variétés avaient aussi été décrites dans le livre de Duhamel du Montceau que Hell avait sûrement lu, puisqu'il annotait souvent ses listes manuscrites par des avis de Duhamel. N'oublions pas non plus qu'à travers Malesherbes, Hell pouvait même avoir été en contact avec Duhamel qui traversa sans doute plusieurs fois notre région lorsqu'il se rendait en province ou en Suisse pour étudier des variétés. C'est ainsi que la pépinière seigneuriale de Sierentz pouvait produire le chiffre impressionnant de plus de seize mille arbres fruitiers par an et qu'elle livrait aussi bien en Suisse, que vers le Doubs ou le Bas-Rhin. Cette production dépasse de deux milles arbres la production annuelle de la célébrissime pépinière des pères Chartreux à Paris (non loin de l'actuel Jardin du Luxembourg), qui oeuvrait à la même époque et dont le souvenir subsiste encore dans le monde de l'arboriculture! Là aussi, les liens entre les deux pépinières semblent évidents, puisque plus de deux tiers des variétés de poires et la moitié des variétés de pommes de la pépinière de Sierentz se retrouvent dans le catalogue de la pépinière des pères Chartreux. On peut donc raisonnablement supposer que Hell profitait de ses fréquents voyages à Versailles ou à Paris pour en ramener des arbres ou des greffons.

Pour nos amis du Bas-Rhin, je souligne que dans les papiers de Hell se trouve également une liste des variétés vendues par une pépinière de Strasbourg à la même époque et qui se trouvait géographiquement hors de la Porte des bouchers. Elle est introduite par le paragraphe suivant : "Liste des meilleures & différentes espéces d'Arbres, avec le tems de leur maturité, qui se trouvent dans les Pépinières de Dominique Simon, Jardinier-Pépiniériste Native de Metz Fils de Paul Simon aussi Pépiniériste à Metz qui est présentement établie à Strasbourg demeurant hors de la Porte des Bouchers à Strasbourg" Cette pépinière proposait aux Bas-Rhinois une liste de variétés quasi-identique à celle que proposait la pépinière seigneuriale de Sierentz. On peut donc ici aussi présumer des liens étroits entre Hell et les pépiniéristes strasbourgeois de la même façon qu'il entretenait des liens avec de nombreux pépiniéristes français, suisses et allemands. Notons que de nombreux plans et schémas réalisés par Hell, qui notait l'emplacement et le nom de chaque arbre planté, attestent du fait que la pépinière de Sierentz était également très bien fournie en variétés forestières et en arbustes de tous genres comme différents alisiers, des cornouillers, des cormiers, différents érables, des micocouliers, plus de dix sortes de peupliers, le sycomore, l'amélanchier, l'épine-vinette, le cèdre de Virginie,... et bien d'autres espèces encore.

La pépinière de Sierentz fournissait également de nombreux arbres à sa jumelle, la pépinière seigneuriale du château d'Ollwiller près de Soultz, puisque les seigneurs d'Ollwiller n'étaient autres que des Waldner, cousins des Waldner de Sierentz. La pépinière de Sierentz semble avoir perduré après la Révolution, puisqu'on lui doit vers 1836 la poire Citron de Sierentz (Leroy, tome I) aujourd'hui disparue et qui par une mauvaise transcription de son nom en pépinière fut aussi propagée sous le nom de Citron de Sirène vers l'Allemagne et vers la France. Leroy, le célèbre pépiniériste angevin, la propagea sous ce nom.

Finissons ici en affirmant que cette modeste enquête révèle l'essence même de la pomologie. Nous venons de le voir, cette discipline, pour qui daigne s'y intéresser, est une porte ouverte vers de nombreuses autres sciences telles que l'histoire, la botanique, la biologie, l'ethnologie, les savoirs ruraux ou les sciences culinaires.

F. Christnacher

Merci à Paul-Bernard Munch, historien spécialiste de l'histoire de la région de Sierentz et du Sundgau, qui m'a révélé l'existence de la Waldner et qui a conduit mes premiers pas aux archives départementales du Haut-Rhin. Merci à Mme Camille Fritsch pour son témoignage et pour les greffons de la Waldnerkirscha.

Références :

Archives départementales du Haut-Rhin.

Dictionnaire des hommes célèbres d'Alsace.

Dictionnaire de pomologie d'André Leroy, Tome I à VI, 1867 à 1879.

Article de Louis Abel dans l'Alsace du 21.07.90.

~1775 : Liste des variétés de la pépinière seigneuriale de Sierentz – Page 3/4

(Archives départementales du Haut-Rhin)

~1775 : Liste des variétés de la pépinière seigneuriale de Sierentz – Page 4/4

(Archives départementales du Haut-Rhin)